La nouvelle a fait du bruit dans le milieu français de la grande distribution : Cécile Guillou, qui avait quitté il y a quelques mois la direction générale de Franprix, prend ce lundi 2 octobre les rênes de Picard Surgelés.
Voici donc, pour tout le monde et en particulier pour Cécile Guillou, une première découverte “business & data” de Picard Surgelés, uniquement à partir des informations publiquement accessibles.
Sans plus attendre, plongeons dans le vif du sujet.
Le réseau Picard Surgelés : un exercice de diversité, dans un contexte de crise
Picard Surgelés, c’est :
environ 1100 magasins répartis sur tout le territoire français, à la fois en zones urbaines et péri-urbaines, et quelques magasins en Belgique et au Luxembourg
des formats variés de magasins répondant à cette variété d’implantation :
petites surfaces de proximité en RDC d’immeuble orientées dépannage en centres urbains
grandes surfaces orientées stockage en zones péri-urbaines
une offre de 1300 produits dont près de 250 innovations par an, majoritairement sous marque distributeur
près d’1/3 du chiffre d’affaires annuel réalisé au travers des achats pour les fêtes de fin d’année
un service de livraison à domicile et de Click & Collect
Les enjeux de Picard
Les enjeux financiers peuvent se décomposer en fréquentation, tailles de paniers et marge dégagée. Aujourd’hui l’enseigne semble principalement jouer sur le concept et l’offre pour :
augmenter le nombre et le volume des paniers, ce qui passe notamment par le travail sur le concept : inciter à la cuisine, augmenter le panier par de nouvelles gammes hors bacs de produits secs ou d’accessoires directement liés à l’offre surgelée.
protéger ses marges et donc la rentabilité de son modèle, dans un contexte de double exposition au risque :
la hausse importante des coûts de matières premières
l’explosion des coûts énergétiques qui représentent une part majeure des frais d’une enseigne de surgelés
créer en permanence de nouvelles recettes (près de 20% de l’offre). L’exposition au risque est mitigée en partie pour Picard par son positionnement d’EDMP (enseigne à dominante de marque propre), le revers est cette exigence de créativité.
On va reprendre ces différents points dans cet article en s’appuyant sur les données à notre disposition.
Quelques leviers de performance
En fin d’article, on parlera de :
l’adaptation des horaires à la demande réelle
la préconisation d’assortiments localisés - en cours d’implémentation
la mise en place de niveaux tarifaires différenciés suivant les zones de chalandise
la création d’offres personnalisées en se basant sur la part importante de CA suivi par le programme de fidélité
le suivi des tendances food sur les réseaux sociaux pour alimenter la création de nouvelles recettes
Chère Cécile, Bienvenue chez Picard Surgelés !
Une implantation dans des réalités géographiques et sociales multiples
Picard Surgelés est partout en France, principalement dans ou aux abords des villes :
La densité de magasins en région parisienne ne doit pas masquer la réalité de la répartition du parc :
Le maillage de Paris et de l’Île-de-France est plutôt homogène avec une bonne densité dans Paris intra-muros :
⚠️ Où sont mes points de vente ?
Répertorier le parc Picard Surgelés et le localiser n’a pas été simple, et a fait apparaître quelques problèmes opérationnels de gestion de la donnée maître du référentiel magasins et de navigation e-commerce.
Cela fera l’objet d’un article dédié : Business & Data Fail : Où sont mes points de vente ?
On s’attend donc à ce que le parc Picard Surgelés soit très hétérogène en termes à la fois de formats et de typologie de clientèle.
Est-ce que cela se traduit en données ? La réponse est probablement oui, mais cela nécessiterait des données internes. Un premier travail de caractérisation du parc par des données socio-démographiques INSEE, appuie les conclusions suivantes :
une différenciation des magasins sur au minimum 3 dimensions :
l’appétence premium
la propension au volume
les motivations de courses / le niveau de transformation
une spécificité marquée des magasins d’hyper-centre de Paris et des plus grandes villes, qui pourrait constituer un parc dans le parc et être l’objet d’une stratégie différenciée
La représentation qui suit - issue d’un traitement par réduction de dimension d’une quinzaine de variables issues du recensement INSEE - esquisse une vision des résidents des quartiers d’implantation des magasins Picard Surgelés et tente une interprétation en termes des 3 dimensions ci-dessus :
Des magasins aux formats et missions variés
Des différences de formats et de clientèle
Deux typologies de magasins se dégagent :
les magasins installés en pied d’immeuble, déployant des surfaces plus petites et des assortiments restreints, pour une clientèle plus urbaine et face à des flux plus importants, plus portée vers le dépannage et les produits élaborés
les magasins isolés, déployant des surfaces plus importantes et donc potentiellement l’ensemble de l’assortiment, pour une clientèle péri-urbaine pouvant être plus ou moins à l’aise financièrement. On pourra s’attendre dans ces magasins à des paniers globalement plus volumiques mais à une vraie hétérogénéité dans leurs compositions.
Une dépendance forte à l’énergie
Ce qui caractérise les magasins Picard Surgelés, et surtout en 2023, c’est qu’ils font du froid. Beaucoup de froid. La consommation d’énergie est liée à la chaîne du froid à hauteur de 85 % : la moitié pour les congélateurs, un quart pour les climatisations et 10 % pour les chambres froides (Le Figaro).
En période de crise géopolitique et d’augmentation dramatique du coût de l’énergie, sur fond d’effets du réchauffement climatique, ce sera une des préoccupations majeures des temps à venir.
Sur ce plan, tous les magasins Picard ne sont pas égaux :
les magasins installés en pied d’immeuble bénéficient pour partie d’un effet thermostat des étages supérieurs, mais se coupent de la possibilité d’une production d’énergie photovoltaïque
les magasins isolés auraient cette possibilité, mais fin 2022, l’enseigne n’était propriétaire que de 5 % de son parc
Nombreuses ont déjà été les initiatives pour économiser l’énergie consommée par les bacs :
sensibiliser les clients et les inciter à choisir leur produit avant d’ouvrir les bacs
moderniser les bacs
réduire la tension d’alimentation
augmenter légèrement la température nocturne des bacs
Une offre suivant - de plus en plus - la polarisation de la demande
Un assortiment enseigne qui reflète une demande hétérogène
L’assortiment enseigne (tel que représenté par l’assortiment présenté sur le site e-commerce) fait bien ressortir deux catégories de produits qui à elles deux couvrent plus de 50% de l’assortiment : Plats Cuisinés et Légumes et fruits qui, au-delà des aspects volume et premium, sont deux pôles de modes de consommation que l’on pourrait attendre des typologies de clients vues plus haut.
Voici précisément la répartition, hors épicerie et accessoires, des différentes catégories, en nombre et pourcentage de références. Seule l’enseigne sait ce que ces catégories représentent en ratio de volumes, CA et marge !
Des assortiments de produits historiquement gigognes
Jusqu’à récemment, ce qui distinguait les assortiments des différents formats de magasins était, comme souvent, leur taille. Les assortiments étaient alors construits comme des poupées gigognes en fonction d’un niveau de priorité déterminé par leurs volumes de ventes.
On reviendra en fin d’article sur les leviers de performance et sur les actions en cours de déploiement en termes de préconisation localisée des assortiments.
Des horaires d’ouverture différents pour des rythmes de vie différents
C’est tout simple, mais un des premiers moyens de faire du chiffre, pour peu qu’il y ait des clients, c’est d’allumer sa caisse.
Les magasins Picard avec la plus grande amplitude horaire (en vert) sont assez naturellement ceux situés dans Paris ou dans les autres grandes villes de France, et l’amplitude décroît lorsqu’on s’en éloigne :
Si on y regarde de plus près, on voit que :
l’amplitude horaire des magasins parisiens est importante, varie assez peu, et tourne entre 69h et 75h d’ouverture par semaine
l’amplitude horaire en Île-de-France est assez classiquement moins importante, avec un peu moins d’ouverture en soirée
l’amplitude horaire des magasins de province est très variable, avec une majorité de magasins ouverts moins de 69h, et une queue de distribution avec des magasins ouverts moins de 45h par semaine
Les top 3 des extrêmes en termes d’amplitude horaire, pour illustration :
les magasins 1130 St Yrieix La Perche Glandon (87), 757 Pont-Audemer (27) et 148 Briançon (05) sont ouverts environ 44h par semaine
les magasins 772 Pyrénées (75020), 786 Rendez-vous (75012), 986 Victor Hugo (75016) sont ouverts près de 80h par semaine !
Il y a peut-être quelque chose à faire assez facilement pour adapter les horaires d’ouverture à l’activité potentielle de chaque magasin : on en reparle très vite dans les pistes d’actions.
Un seul prix pour tous, mais toujours psychologiquement accessible
Un prix universel
Il semble que Picard Surgelés pratique un prix unique pour chaque produit dans l’ensemble de son parc. Ou tout du moins, le sachet de frites bio de 600g est au même prix de 3,30 € en click & collect à Briançon (05), dans le 16e arrondissement de Paris, et dans les bacs du magasin qui se trouve à 20 mètres de chez moi.
C’est un parti pris qui se discute, et qu’on discutera en fin d’article !
Des formats adaptés au service d’un prix sous le seuil psychologique des 10 €
Un des avantages de proposer une offre à dominante de marque propre, au-delà de la maîtrise des marges, c’est également la maîtrise des formats, au service de l’image-prix.
Picard propose donc des recettes très variées, avec des prix au kilo potentiellement élevés, mais avec des formats adaptés permettant à 91% des produits de rester sous la barre des 10 € :
Cette adaptation des formats permet d’amplifier la tentation en rendant des produits de plaisir comme la catégorie Apéritifs et entrées nettement plus accessibles que ne l’est leur prix au kg, et globalement de contenir la variété des prix à l’unité dans une fourchette basse :
Et le digital alors ? Et la fidélité ?
Pour ce premier tour d’horizon business & data, je me suis concentré sur ce qui fait classiquement la bottom line d’une enseigne de distribution, à savoir son réseau physique, et sur ce qui est le plus accessible de l’extérieur.
Picard Surgelés ne s’y trompe d’ailleurs pas, mettant en avant le Click & Collect qui permet à la fois de désynchroniser et fluidifier l’acte d’achat tout en orientant et valorisant son maillage !
Mais à la visite du site, on voit apparaître plusieurs initiatives digitales, témoins d’une préoccupation et d’investissements dédiés. Parmi elles :
le programme de fidélité Picard & Nous
Picard Pay, la carte digitalisée à laisser à ses jeunes pour qu’ils puissent par eux-mêmes se laisser tenter / se débrouiller le temps que leurs parents rentrent du travail ?
Les recettes Picard
Le moteur de recherche “Qu’est-ce qu’on cuisine ?” qui permet de trouver ce qu’il est possible de cuisiner avec ce qui nous reste… en allant chercher chez Picard ce qui nous manque !
La majorité de ces initiatives sont mécaniquement moins visibles puisque la priorité est à la minimisation de la friction pour commencer à faire son panier !
Une analyse en profondeur du programme de fidélité - qui a d’après mes sources une couverture massive du CA enseigne ! - viserait à quantifier l’attractivité des récompenses du programme, et son impact sur la propension au réachat.
De la même manière, difficile d’évaluer de l’extérieur l’impact aussi bien des catalogues richement éditorialisés de l’enseigne que des vastes campagnes sur de multiples formats physique et digitaux !
Quelques pistes d’actions business & data pour Picard Surgelés
On l’a vu plus haut, le parc Picard Surgelés se caractérise par une grande hétérogénéité à la fois des populations clients et des missions courses qui les amènent en magasin, suivant trois axes : premiumité (bouchées apéritives trendy vs sacs de frites), volume (freezer vs congélateur), motivation/niveau de transformation (dépannage vs stockage).
Préconisations d’assortiment localisées
D’après mes informations, un travail de spécialisation des assortiments, basé sur les données notamment socio-démographiques des zones de chalandise des magasins (avec une vigilance à avoir sur la qualité de la donnée maître !) est en cours de déploiement sur une part croissante du parc :
Il vise principalement les magasins qui ne peuvent pas contenir tout l’assortiment
Il diminue de manière drastique le tronc commun à détenir
Ce qui permet de laisser la place à des recommandations de produits sous la forme de score attribués à chaque produit
Ces scores sont basés sur la performance attendue dans le cluster défini pour le magasin parmi 5 clusters identifiés sur des bases à la fois internes et externes, géographiques et socio-démographiques
Adaptation des niveaux de prix aux contextes locaux
C’est à la fois un virage culturel et un vrai challenge opérationnel, mais également un levier qui, bien actionné, peut permettre à la fois à Picard Surgelés :
d’apporter à chacun un produit au prix le plus juste,
d’obtenir un mix de marge plus favorable à l’échelle du parc.
A étudier.
Adaptation des horaires à la demande réelle
Une action simple à identifier, efficace, qui demande certes de l’aménagement opérationnel et quelques expériences de conviction, c’est d’analyser les flux de visiteurs et les moments forts de consommation dans les données de caisses pour identifier quels magasins pourraient soit augmenter leur amplitude horaire et gagner de nouveaux paniers voire de nouveaux clients, soit réduire leur amplitude et économiser des frais.
Conception de produits nouveaux alimentée par la détection des tendances food
Près de 20% de l’offre est renouvelée chaque année, très certainement sur les catégories de produits préparés : Plats Cuisinés, Apéritifs et entrées en premier lieu, mais également Glaces et sorbets pour les desserts de fin d’année. C’est un des vecteurs d’image et de communication de l’enseigne : son inventivité en termes de recettes.
Comme dans le domaine de la mode, les tendances food s’enchaînent à un rythme de plus en plus rapide et demandent aux enseignes d’accélérer leur rythme de création, donc leur rythme de veille. Et quelle source plus fraîche que celle des réseaux sociaux ? En analysant les textes et les images postés sur les réseaux sociaux, il est possible de reconnaître des tendances émergentes, des leaders d’influence, ainsi que les typologies de clients concernés. Un outil indispensable !
C’est tout pour ce premier numéro de Business & Data Discovery, consacré à Picard Surgelés !
Alors si :
vous êtes côté Picard Surgelés, et vous voulez aller plus loin,
vous êtes ailleurs et vous seriez curieux de voir votre enseigne sous cet angle,
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A très vite !