Dans le cadre d’une création de poste ou d’un départ, vous venez d’être nommé Chief Data Officer, Head of Data, ou une autre dénomination vous plaçant dans le rôle d’organiser les équipes et les outils data pour une organisation. Félicitations !
Ce rôle est complexe par la grande variété des attentes et des interlocuteurs. Le/la CDO doit à la fois :
apporter de la valeur métier tout en orchestrant une organisation technique,
apporter des impacts rapides et visibles tout en emmenant les équipes dans une transformation progressive de leurs pratiques…
… et ce n’est pas tout !
Mon expérience dans ce rôle et dans l’accompagnement de CDOs m’amène à vous proposer 4 axes principaux à développer dès les premiers mois :
Construire une feuille de route
Positionner la data comme un partenaire des métiers
S’appuyer sur une plateforme data moderne, évolutive, fiable et adaptée
Communiquer / Être un interlocuteur privilégié pour toutes les fonctions
Construire une feuille de route
La feuille de route data est la vision partagée entre le Data Leader et l’ensemble des métiers de la manière dont les données vont nourrir et structurer l’évolution des modes de travail.
Une feuille de route data est un programme progressif, équilibré entre production de valeur et maturité technologique. Ce n’est pas une simple trajectoire technologique.
La feuille de route data s’attache à créer de la confiance dans les données et dans la valeur apportée par les équipes data.
La feuille de route s’alimente :
d’une vision complète du business model et de sa chaîne de valeur
d’une évaluation lucide des moyens disponibles, dans un sens très large : maturité des équipes dans la maîtrise des données et l’adoption de solutions analytiques, écosystème technique, compétences présentes…
des attentes de vos principaux sponsors, le premier étant idéalement le/la CEO
Vous devez donc, avant de vous jeter dans l’écriture d’une roadmap, cartographier votre environnement et ses possibilités, et pour cela rentrer en empathie avec les équipes.
⚠️ Attention !
Ne cherchez pas systématiquement à réformer l’organisation en place ! Les conseils ci-dessus concernent majoritairement les leaders Data arrivant dans une organisation où tout reste à mettre en place.
Des organisations et architectures très variées peuvent naître de cultures d’entreprise, de contraintes historiques multiples, dont vous n’avez pas encore conscience mais que vous devez rapidement apptéhender.
Il peut s’avérer nécessaire de faire table rase du passé, mais cela devrait être réservé aux cas les plus graves, présentant des dysfonctionnements graves, ou représentant un danger immédiat, par exemple sur le plan RGPD.
On observe pourtant des changements de direction data qui apportent des revirements pas nécessairement fondés rationellement, liés à des préférences personnelles ou à des raisons de politique interne. Cela peut retarder notoirement les progrès, et être mal vécu par les équipes.
En pratique
Cartographier l’environnement
Rencontrez l’ensemble des parties prenantes, et rédigez pour vous-même une première analyse des parties prenantes (stakeholder analysis)
Cartographiez la chaîne de valeur de l’organisation en partant de sa mission / de ses clients principaux et en remontant les process principaux et secondaires. Positionnez à chaque fois le niveau de maturité de la technologie sous-jacente.
Cartographiez les besoins exprimés selon leur niveau de valeur perçue, complexité technique (prérequis, temps de développement) et niveau de sponsoring
Proposer une feuille de route
Proposez à court terme des améliorations qui seront majeures en termes de valeur perçue (fiabilité et temps passé) mais qui ne demandent qu’une transformation minime.
Prévoyez dès que possible d’associer aux cas d’usage métier le développements de composants réutilisables : données partagées entre plusieurs métiers, monitoring de la qualité des données sources, bibliothèques maison d’analyse et de post-traitement de données, structures d’outils web ou flows machine learning, ...
Surtout, prévoyez de la bande passante pour les demandes ad hoc : ce sont elles qui vont vous aider à réorienter au fil de l’eau votre feuille de route et à structurer votre offre.1
Si vous reprenez une organisation data existante, préférez une approche du change management qui vise à commencer par tirer le meilleur parti de l’existant et à faire démarrer en parallèle des prototypes de modernisation, afin de valider itérativement leur adoption.
Positionner la data comme un partenaire
Pour apporter un vrai progrès à une organisation, les équipes data ne peuvent pas se contenter de concevoir et délivrer des « produits data », mais doivent s’assurer que ceux-ci répondent à des besoins opérationnels et sont faciles à adopter par les utilisateurs.
La valeur restera majoritairement réalisée par les équipes métier. C’est dans leurs pratiques quotidiennes qu’il s’agit d’apporter ce qui doit être vécu comme un enrichissement et une facilitation.
Plusieurs actions sont à mener de concert :
Collaboration métier / data
Les métiers omettent souvent de mobiliser l’équipe data, ou lui adressent des demandes simples et peu contextualisées, par méconnaissance de son mode de fonctionnement et de ses capacités. L’objectif est d’installer des pratiques collaboratives entre métier et data. Petit à petit, on installe une compréhension mutuelle et une habitude collective qui permet aux deux équipes de rendre cette collaboration profitable pour tous.2
Formalisation et partage des connaissances
La collaboration repose sur des savoirs partagés, comme une communication véritable repose sur un vocabulaire commun. Faire vivre un lieu commun permettant de faire consensus sur les processus, les métriques, et les documenter, au-delà d’apporter un gain de temps et d’efficacité, est une condition nécessaire à toutes les actions de gouvernance.
Culture de la mesure
Savoir pourquoi on lance des actions, savoir les évaluer a posteriori, savoir les comparer entre elles : c’est ce qui fait la différence entre les organisations data matures et celles qui ne le sont pas. Les équipes data ont classiquement des formations classiquement scientifiques : elles sont donc bien placées pour apporter aux métiers les bonnes pratiques associées, en commençant par les appliquer à leurs propres actions.
En pratique
Demandez systématiquement à vos équipes de situer leurs tâches dans un contexte business et d’envisager les solutions techniques possibles du point de vue des utilisateurs métier.
Mettez en place dès que possible une documentation centralisée des process métier, des définitions de métriques, … Utilisez-la d’abord comme un outil interne à vos équipes (« eat your own dog food ») et renvoyez vos équipes et vos interlocuteurs vers celle-ci. S’y référer doit devenir un réflexe.3
Exploitez les demandes ad hoc comme des opportunités de proposer aux métiers des métriques d’évaluation de leurs actions. Vous pouvez aussi proposer plusieurs manières d’évaluer une action, et leurs implications en termes de biais décisionnels, pour instiller le doute et amener l’importance des définitions !
S’appuyer sur une plateforme data moderne, évolutive, fiable et adaptée
En tant que Data Leader, il vous revient de choisir la stack technique sur laquelle votre organisation va investir pour avancer dans sa transformation et vers sa maturité.
Cet exercice de prospective est par contre difficile dans un contexte encore très dynamique, qui va encore voir beaucoup d’innovations, et à la fois des processus d’intégration ou au contraire de morcellement dans des outils spécialisés.
Dans ce contexte, une trajectoire technologique doit permettre de rester mobile dans ses choix, d’éviter le vendor lock-in et de pouvoir toujours rester en veille et évaluation des innovations.
Il s’agit pour cela de mettre une préoccupation constante dans la formalisation des processus, la documentation des règles métier, et le design d’architectures modulaires. Cela permet in fine de se rendre aussi agnostique que possible, et de se mettre en capacité de réduire les coûts et les risques des virages technologiques qui vous attendent.
En pratique
Mettez en place ou complétez, que vous soyez à moyen terme dans un contexte legacy/on premises ou déjà en cloud, les composants fondamentaux d’une plateforme data :
l’acquisition des données
le stockage, la modélisation des données, la définition de pipelines/DAG
le développement, le test, la mise en production, l’orchestration des codes sources correspondants
la construction et la maintenance de dashboards
la conduite d’analyses approfondies, le développement de modèles de machine learning et leur éxécution en production
la construction et le run d’applications dédiées embarquant des algorithmes d’aide à la décision
la gestion des connaissances et des méta-données : documentations internes, catalogues de données
Communiquer / Être un interlocuteur privilégié pour toutes les fonctions
Vous avez 100 jours pour vous faire adopter le plus possible, parce que c’est ce qui va vous faciliter l’adoption de toutes les initiatives data que vous allez lancer. S’il y a une personne dans toute l’organisation data qui doit se rendre visible, c’est vous.
Communiquez avec votre CEO
Il ne s’agit pas d’être en contact avec le/la CEO seulement à votre arrivée … puis à votre départ. L’exercice commence même avant votre recrutement : assurez-vous autant que possible du sponsoring et de la vision (ou au moins de la volonté) au niveau CEO ou au niveau intermédiaire auquel vous reporterez. En poste, assurez-vous de ne pas négliger des sujets à visibilité stratégique. Ce n’est pas par calcul, mais parce que le soutien au plus haut niveau est une condition nécessaire de succès de l’ensemble de la transformation que l’organisation cherche à atteindre grâce à vous.
Communiquez avec les métiers
Identifiez dans chaque direction métier les personnes qui montrent le plus d’intérêt analytique. Elles apparaîtront naturellement à vos analystes au fil des demandes. Animez des meetups réguliers avec ces futurs data champions.
Communiquez avec l’IT
Soyons lucides : la data, avec son contact intime avec le métier, et ses sous-jacents techniques, est un client difficile pour l’IT, en position de boîte de transmission entre deux dynamiques et deux modes opératoires différents. Passez autant de temps en empathie avec l’IT qu’en empathie avec les métiers, apprenez à expliquer les enjeux et contraintes des uns aux autres pour trouver une voie du milieu. Oui, vous êtes une sorte de diplomate.
Communiquez publiquement
Il y a autant de rôles de CDO que d’organisations qui les hébergent. Dans un domaine aussi dynamique, il faut vous alimenter de ce que tous vos homologues partagent sur leurs propres expériences. Mais vous aussi, vous devez partager : votre expérience à l’issue de ces 100 jours est nécessairement unique, importante et source d’inspiration ! Sortez !
C’est tout pour aujourd’hui !
Et vous, quel est votre rapport d’étonnement en tant que CDO ?
Vos retours m’aident à choisir quels sujets aborder parmi tous ceux qui doivent l’être, n’hésitez donc pas à me contacter sur LinkedIn ou par e-mail : gansanay AT gmail DOT com.
Lire à ce sujet la lettre précédente : Gérer les demandes ad hoc : de goulet d’étranglement à business partner
Lire à ce sujet les lettres “Au secours, une demande ad hoc” et Anatomie d’une demande ad hoc